Paris, le 10 juin 2017.
Ludwig von Mises (1881-1973) a publié le texte dont des extraits suivent
ci-dessous, une première fois en 1917-1918, dans un article d'un journal
scientifique allemand.
Il y a donc juste cent ans et il avait près de quarante ans.
Il l'a ensuite utilisé comme chapitre de la 2e édition allemande de son livre
intitulé Théorie de la monnaie et du crédit, en 1924.
Enfin il l'a relégué en annexe du livre dans la traduction américaine de Batson
de 1934 (cf. http://www.econlib.org/library/Mises/msTApp.html
).
Ce texte est essentiel à connaître pour quiconque veut abandonner les idées
inexactes habituelles sur ce qu'on a dénommé "monnaie" et qui voudraient,
en particulier, que les hommes de l'état eussent inventé cette dernière
considération.
Ils se la sont appropriés, point final.
Il l'est surtout pour ceux qui s'improvisent à réfléchir sur la
"monnaie électronique" et les fameuses "crypto-monnaies" du moment.
Les sous titres sont de mon cru, ainsi que la traduction.
1. Remarque préalable.
Mises a centré le texte sur la notion de « catallaxie », notion en
grande partie ignorée en France, aujourd'hui.
Il la supposait connue.
Reste qu'elle a été peu employée, de tout temps, par les économistes
du "mainstream".
Que faut-il entendre par le mot "catallaxie" ?
Friedrich von Hayek (1899-1992) a très bien expliqué le mot dans son livre
intitulé Droit, législation et liberté, publié d'abord en anglais dans
la décennie 1970, puis dans la décennie 1980 en France, dans le chapitre 10
intitulé "L'ordre de marché ou catallaxie" dans le tome II qui est
intitulé Le mirage de la justice sociale :
« Une économie, au sens strict du mot qui permet d'appeler « économie » un
ménage, une ferme ou une entreprise, consiste en une combinaison d'activités
par laquelle un ensemble donné de moyens se trouve affecté selon un plan
unitaire et réparti entre les diverses tâches d'après leur importance
respective.
L'ordre de marché ne sert nullement un tel agencement unitaire
d'objectifs.
Ce qui est d'ordinaire appelé une économie sociale ou nationale n'est pas en ce
sens une unité économique mais un réseau de nombreuses économies imbriquées les
unes dans les autres.
Nous verrons que son ordre partage, avec l'ordre d'une économie proprement
dite, certains
caractères formels mais non pas le plus important : les activités d'une nation
ne sont pas gouvernées par une unique échelle ou hiérarchie d'objectifs.
La croyance que les activités économiques des individus membres de la
société sont, ou devraient être, les éléments partiels d'une économie au sens
propre du terme, et que ce que l'on appelle communément l'économie d'un pays ou
d'une société devrait être agencé et jugé d'après les mêmes critères qu'une
économie proprement dite, est la principale source d'erreurs dans ce
domaine.
Pourtant, chaque fois que nous parlons de l'économie d'un pays, ou du monde,
nous employons un terme qui suggère que ces systèmes devraient être conduits à
la manière socialiste, et dirigée suivant un plan unique de façon à servir un
ensemble unitaire d'objectifs.
Alors qu'une économie proprement dite est une organisation, dans le sens
technique que nous avons donné à ce mot — c'est-à-dire un agencement délibéré
d'un seul organe collectif pour l'emploi de moyens connus — le kosmos du marché
n'est ni ne peut être ainsi gouverné par une échelle unique d'objectifs ; il
sert la multitude des objectifs distincts et incommensurables de tous ses
membres individuels.
La confusion engendrée par l'ambiguïté du mot économie est si grave que, pour
notre propos actuel, il apparaît nécessaire d'en cantonner l'usage strictement
dans son sens originaire : celui d'un complexe d'actions délibérément
coordonnées visant un seul faisceau d'objectifs ; et d'adopter un autre terme
pour évoquer le réseau de nombreuses économies en relations mutuelles, qui
constitue l'ordre de marché.
Puisque le nom de « catallactique » a depuis longtemps été proposé pour la
science qui étudie l'ordre de marché, et qu'il a récemment été tiré de l'oubli,
il semble tout indiqué d'adopter un mot correspondant pour l'ordre de marché
lui-même.
Le terme « catallactique » a été tiré du verbe grec katallattein (ou
katallassein) qui signifiait originairement, et de façon éclairante, non
seulement « échanger » mais aussi « admettre dans la communauté » et « faire
d'un ennemi un ami ».
De là, l'adjectif « catallactique » a été dérivé pour remplacer « économique »
afin de désigner l'espèce de phénomène dont s'occupe la science de la
catallactique.
Les
anciens Grecs ne connaissaient pas ce terme, et n'avaient pas de substantif
correspondant ; s'ils en avaient forgé un, c'eût été probablement
katallaxia.
De là nous pouvons former un mot moderne, catallaxie, que nous emploierons pour
désigner l'ordre engendré par l'ajustement mutuel de nombreuses économies
individuelles sur un marché.
Une catallaxie est ainsi l'espèce particulière d'ordre spontané produit
par le marché à travers les actes de gens qui se conforment aux règles
juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats." (Hayek,
1986, pp. 129-131).
2. Et voici des extraits du texte de Mises:
"1. Doctrines monétaires catallactique et a
catallactiques.
Le phénomène de la monnaie occupe une position si importante parmi les autres
phénomènes de la vie économique, qu'il a été spéculé
- même par des personnes qui n’ont pas consacré davantage d'attention aux
problèmes de la théorie économique, et
- même à un moment où la recherche approfondie sur les processus de l’échange
était encore inconnue.
Les résultats des spéculations ont été variés.
a. [marchands et juristes]
Les marchands et, à leur suite, les juristes qui étaient étroitement
liés aux affaires du commerce, ont
- attribué l'utilisation de la monnaie aux propriétés des métaux précieux,
et
- déclaré que la valeur de la monnaie dépendait de la valeur des métaux
précieux .
b. [la jurisprudence canoniste]
La jurisprudence canoniste, ignorante des voies du monde, a vu
l'origine de l'emploi de la monnaie dans le commandement de l'Etat, elle a
enseigné que la valeur de la monnaie était une valor impositus.
c. [L'analogie]
D'autres, encore, ont cherché à expliquer le problème au moyen de
l'analogie.
i) Se plaçant d'un point de vue biologique, ils ont comparé la monnaie
au sang ; de même que la circulation du sang anime le corps, de même la
circulation de la monnaie anime l'organisme économique.
ii) Ou ils l’ont comparé au discours, qui avait aussi pour fonction de
faciliter le Verkehr (échange, commerce) humain.
iii) Ou ils ont fait usage de la terminologie juridique et défini la
monnaie comme un projet de tout le monde pour tout le monde.
[d. Autres tentatives].
Tous ces points de vue ont ceci en commun : ils ne peuvent pas être intégrés
dans un système qui traite de façon réaliste les processus de l'activité
économique.
Il est absolument impossible de les utiliser comme fondements d'une théorie de
l'échange.
Et la tentative n'a guère été faite car il est clair que toute tentative de
supporter, par exemple, la doctrine de la monnaie comme un projet en harmonie
avec une explication des prix, conduit à des résultats décevants.
Si l'on souhaite avoir un nom général pour ces tentatives pour résoudre le
problème de la monnaie, on peut les dénommer "a catallactiques" car il n’y a
pas de place trouvée pour elles en "catallaxie".
[e. Les théories catallactiques].
Les théories catallactiques de la monnaie, d'autre part, s’accordent à la
théorie des taux d'échange.
Elles recherchent ce qui est essentiel dans la monnaie lors de la négociation
des échanges, elles expliquent sa valeur par les lois de l'échange.
[f. théorie générale de la valeur].
Il devrait être possible
- pour toute théorie générale de la valeur, de fournir aussi une théorie de la
valeur de la monnaie, et
- pour toute théorie de la valeur de la monnaie, d’être incluse dans une
théorie générale de la valeur.
Le fait qu'une théorie générale de la valeur ou une théorie de la valeur de la
monnaie remplisse ces conditions n'est en aucun cas une preuve de sa
justesse.
Reste qu'aucune théorie ne peut s'avérer satisfaisante si elle ne remplit pas
ces conditions.
[g. Pourquoi les vues "a catallactiques" de la monnaie
perdurent].
Il peut sembler étrange que les vues "a catallactiques" de la monnaie ne soient
pas complètement supprimées par le développement de la doctrine
catallactique.
Il y a plusieurs raisons à cela.
Il n'est pas possible de maîtriser les problèmes de l'économie théorique, sauf
si on traite d'abord les questions de la détermination des prix (prix des
matières premières, salaires, loyer, intérêts, etc. ) dans l'hypothèse d'un
échange direct, l'échange indirect étant laissé temporairement de côté.
Cette nécessité donne lieu à une division de la théorie de la catallaxie en
deux parties :
- la doctrine de l'échange direct et
- celle de l’échange indirect.
Désormais, aussi abondants et difficiles que soient les problèmes de la théorie
pure, la possibilité de mettre une partie d'entre eux de côté, au moins
pour le moment, a été très bien accueillie.
Ainsi elle a fait que la plupart des derniers chercheurs ont consacré
soit aucune attention,
soit très peu,
à la théorie de l'échange indirect ;
de toutes les façons, elle a été la partie la plus négligée de notre
science.
[h. Les effets de l'omission].
Les conséquences de cette omission ont été des plus malheureuses.
Elles ont été exprimées
- non seulement dans le domaine de la théorie de l'échange indirect, de la
théorie de la monnaie et de la banque,
- mais aussi dans le domaine de la théorie de l'échange direct.
Il y a des problèmes de la théorie dont la pleine compréhension ne peut être
atteinte que par l'aide de la théorie de l'échange indirect.
Trouver une solution à ces problèmes, parmi quoi, par exemple, il y a le
problème des crises, sans instruments autres que ceux de la théorie de
l'échange direct, conduit inévitablement à s'égarer.
C'est ainsi que la théorie de la monnaie a été entre temps rendue aux "a
catallactistes".
[i. Les reliques des vues "a
catallactiques"].
Même dans les écrits de nombreux théoriciens catallactiques, se trouvent de
vieilles reliques des vues "a catallactiques".
Ici et là, sont remplies des déclarations
- qui ne sont pas en harmonie avec les autres déclarations de leurs auteurs sur
le thème de la monnaie et de l'échange et
- qui, évidemment, ont été acceptées simplement
parce qu'elles étaient traditionnelles et
parce que l'auteur n'avait pas remarqué qu'elles se heurtaient au reste du
système.
D'autre part, la controverse de la monnaie a suscité plus d'intérêt que jamais
dans les questions de théorie monétaire juste au moment où la théorie moderne
en route leur consacrait très peu d'attention.
[j. Les "hommes pratiques"].
De nombreux «hommes pratiques» se sont aventurés dans le domaine.
Maintenant l'homme pratique sans formation économique générale qui commence à
méditer sur les problèmes monétaires ne voit d’abord rien d'autre et limite sa
recherche à leur domaine restreint immédiat sans tenir compte de leurs
connexions avec d'autres considérations, il est donc facile pour la théorie
monétaire de devenir "a catallactique".
Que l '«homme pratique», si fièrement méprisé par le " théoricien professionnel
", puisse procéder de recherches de problèmes monétaires à la compréhension de
la théorie économique plus pénétrante, est on ne peut mieux démontré par
les développements de Ricardo.
La période dont nous parlons n’a pas vu un tel développement.
Mais elle a produit des écrivains sur la théorie monétaire qui ont fait tout ce
qui était nécessaire pour la politique monétaire de leur époque.
Parmi un grand nombre, il est seulement nécessaire de mentionner deux noms -
Bamberger et Soetbeer -.
Ils ont consacré une partie considérable de leur activité à la lutte contre les
doctrines des "a catallactistes" contemporains.
À l'heure actuelle, les doctrines "a catallactiques" de la monnaie trouvent une
vraie acceptation entre les économistes qui n'ont aucune préoccupation de la
"théorie".
Ceux qui, ouvertement ou implicitement, nient la nécessité de la recherche
théorique ne sont pas en mesure de demander une doctrine monétaire qu'il
devrait être possible d’intégrer dans un système théorique.
2. La théorie «étatiste» de la monnaie.
La caractéristique commune de toutes les doctrines monétaires "a
catallactiques" est négative ; celles-ci ne peuvent pas être intégrées dans une
théorie de la catallaxie.
Cela ne signifie pas qu’elles impliquent une absence totale de vue sur la
valeur de la monnaie.
Sans de telles vues, elles ne seraient pas du tout des doctrines
monétaires.
Mais leurs théories de la valeur de la monnaie sont construites
subconsciemment, elles ne sont pas explicites, elles ne sont pas complètement
pensées.
Car si on avait constamment pensé à leurs conclusions logiques, il deviendrait
évident qu’elles seraient auto-contradictoires.
Une théorie de la monnaie développée de façon cohérente doit être fusionnée à
une théorie de l'échange, et donc cesser d'être "a catallactique".
Selon les doctrines a catallactiques les plus naïves et les plus primitives, la
valeur de la monnaie coïncide avec la valeur du matériau monétaire.
Mais tenter d'aller plus loin et commencer à enquêter sur les motifs de la
valeur des métaux précieux, c'est déjà arriver à la construction d'un système
catallactique.
[a. La théorie de la valeur].
L'explication de la valeur des biens est recherchée
- soit dans leur utilité,
- soit dans la difficulté de les obtenir.
Dans les deux cas, on a découvert aussi le point de départ pour une théorie de
la valeur de la monnaie.
Ainsi, l'approche naïve, logiquement développée, nous conduit automatiquement à
des problèmes réels.
Elle est "a catallactique", mais elle conduit à la catallaxie.
[b. Le pouvoir de l'Etat].
Une autre doctrine "a catallactique" cherche à expliquer la valeur de la
monnaie par le pouvoir de l'Etat .
Selon cette théorie, la valeur de la monnaie repose
- sur l'autorité du pouvoir civil le plus élevé,
- non pas sur l'estimation du commerce. 13)
13) Voir Endemann , Studien in der romanisch - kanonistischen Wirtschafts-
und gegen Rechtslehre bis Ende des 17. Jahrhunderts (Berlin, 1874-1883 ),
vol . 2, p. 199.
La loi commande, le sujet obéit.
Cette doctrine ne peut en aucun cas être mise en harmonie avec une théorie de
l'échange car, apparemment, elle n'aurait de sens que si l'Etat fixait le
niveau réel des prix en monnaie de tous les biens et services économiques,
comme par voie de règlementation des prix en général.
Puisqu'on ne peut pas affirmer que c'est le cas, la théorie étatique de la
monnaie est obligée de se limiter à la thèse que le pouvoir de l'Etat
établit
- seulement le Geltung ou la validité de la monnaie en unités
nominales,
- mais pas la validité de ces unités nominales dans le commerce.
Mais cette limitation équivaut à l'abandon de la tentative d'expliquer le
problème de la monnaie.
En insistant sur le contraste entre la valor impositus et la
bonitas intrinseca, les canonistes ne permettent pas en effet à des
sophismes scholastiques de concilier le système juridique romano-canoniste avec
les faits de la vie économique.
Mais en même temps, ils ont révélé la futilité intrinsèque de la doctrine de la
valor impositus ; ils ont démontré l'impossibilité d'expliquer les
processus du marché avec son aide.
[c. La doctrine nominaliste].
Néanmoins, la doctrine nominaliste n'a pas disparu de la littérature
monétaire.
Les princes de l'époque, qui voyaient dans l'avilissement de la monnaie un
moyen important d'améliorer leur situation financière, avaient besoin de la
justification de cette théorie.
Si, dans ses efforts pour construire une théorie complète de l'économie
humaine, la science de l'économie politique combattante se maintient
exempte de nominalisme, il y avait néanmoins toujours assez de nominalistes
pour les besoins budgétaires.
Au début du XIXe siècle, le nominalisme avait encore des représentants chez
Gentz et Adam Müller, qui écrivaient comme soutien de la politique monétaire
autrichienne de la période Bankozettel.
Et le nominalisme a été utilisé comme fondement pour les exigences des
inflationnistes.
Mais c’était pour faire l’expérience de sa pleine renaissance dans l'économie
allemande «réaliste» du XXe siècle.
[d. La théorie monétaire a
catallactique].
Une théorie monétaire a catallactique est une nécessité logique de la tendance
empirico-réaliste en science économique.
Puisque cette école, défavorable à toute «théorie», s'abstient de propager tout
système de catallaxie, elle est obligée de s'opposer à toute doctrine monétaire
qui conduit à un tel système.
Donc, au début, elle a évité tout traitement du problème de la monnaie que ce
soit ; dans la mesure où elle arrivait à ce problème (dans son travail souvent
admirable sur l'histoire de la production des pièces de monnaie et dans son
attitude à l'égard des questions politiques), elle a conservé la théorie de la
valeur classique traditionnelle .
Mais, peu à peu, ses vues sur le problème de la monnaie glissaient
inconsciemment dans les idées a catallactiques primitives décrites ci-dessus,
qui considèrent la monnaie en métal précieux comme un bien qui est évaluable
"en lui-même."
Désormais cela était incohérent.
Pour une école qui a inscrit le dispositif de l'étatisme sur sa bannière, et à
quoi tous les problèmes économiques apparaissent comme des questions
d'administration, la théorie du nominalisme de l'Etat est plus appropriée.
14)
14) Voir Voigt , "Die Theorie des staatliche Geldes", Zeitschrift für die
gesamte Staatswissenschaft 62 : 318 f .
[e. La démarche de Knapp].
Knapp compléta ce propos.
D'où le succès de son livre en Allemagne.
Le fait que Knapp n’ait rien à dire sur le problème monétaire catallactique, le
problème du pouvoir d'achat ne peut pas être considéré comme une objection du
point de vue d'une doctrine qui
- nie la catallaxie et
- a abandonné à l'avance toute tentative d'explication causale de la
détermination des prix.
La difficulté pour quoi les anciennes théories nominalistes étaient venues à
débat n'existait pas pour Knapp, dont la population se composait uniquement de
disciples de l'économie politique réaliste.
Il a pu - en fait, compte tenu de son public, il était obligé ... – abandonner
toute tentative d'explication de la validité de la monnaie dans le
commerce.
Si des questions importantes de politique monétaire ont surgi en Allemagne dans
les années qui ont suivi immédiatement l'apparition du travail de Knapp,
l'insuffisance d'une doctrine qui a été incapable de dire quoi que ce soit à
propos de la valeur de la monnaie, était naturellement devenue bientôt
évidente.
[f. Une tentative malheureuse].
Que la nouvelle théorie de l'État compromît immédiatement
ce qui a été mis en avant, était du à sa tentative malheureuse pour faire face
à l'histoire de la monnaie d'un point de vue a catallactique.
Knapp lui-même, dans le quatrième chapitre de son travail, a brièvement raconté
l'histoire monétaire de l'Angleterre, de la France, de l'Allemagne et de
l'Autriche.
Des travaux sur d'autres pays ont suivi, par les membres de son
séminaire.
Tous ces comptes sont purement formels.
Ils s'efforcent d'appliquer le régime de Knapp aux circonstances particulières
des différents Etats.
Ils fournissent une histoire de la monnaie dans la terminologie
knappienne.
Il ne pouvait y avoir aucun doute sur les résultats qui ont été obligés de
suivre de ces tentatives.
Ils exposent les faiblesses de la théorie de l'Etat.
[g. La politique de la monnaie].
La politique de la monnaie est préoccupée par la valeur de
la monnaie, et une doctrine qui ne peut pas nous dire quoi que ce soit sur le
pouvoir d'achat de la monnaie n'est pas adaptée pour traiter des questions de
politique de la monnaie.
Knapp et ses disciples énumèrent les lois et les décrets, mais sont incapables
de dire quoi que ce soit sur leurs motivations et leurs effets.
Ils ne mentionnent pas qu'il y a eu des partis soutenant des politiques
différentes de la monnaie.
Ils ne savent rien, ou rien d'une grande importance, sur les bimétallistes, les
inflationnistes ou les restrictionnistes ;
selon eux, les partisans de l'étalon-or ont été menées par la "superstition
métalliste", les adversaires de l'étalon-or étaient ceux qui étaient libres de
« préjugés ».
Ils évitent soigneusement toute référence aux prix des matières premières et
des salaires et aux effets du système monétaire sur la production et les
échanges.
A part faire quelques remarques sur le "taux d’échange fixe", ils ne
touchent jamais sur les liens entre l'étalon monétaire et le commerce
extérieur, problème qui a joué un si grand rôle dans la politique de la
monnaie.
Il n'y a jamais eu de représentation plus misérable et vide de l'histoire
monétaire.
À la suite de la Guerre mondiale, les questions de politique monétaire sont
redevenues très importantes, et la théorie de l'Etat lui-même se sent obligée
de produire quelque chose sur les questions d'actualité de la politique de la
monnaie.
Qu'il n'ait rien de plus à dire au sujet de ceux-ci que sur les problèmes
monétaires du passé est représenté par l'article de Knapp "Die Währungsfrage
bei einem deutsch - Osterreichischen Zollbündnis " dans la première partie de
l'ouvrage publié par le Verein für Sozialpolitik : Die wirtschaftliche
Annäherung zwischen dem deutschen und seinen Verbündeten Reiche.
Il ne peut guère y avoir deux opinions sur cet essai.
L'absurdité des résultats à quoi la doctrine nominaliste de la monnaie est
obligée d'arriver dès qu'elle commence à se préoccuper des problèmes de la
politique monétaire, est représentée par ce qui a été écrit par Bendixen, un
des disciples de Knapp.
[h. L'absurdité de la monnaie créance].
Bendixen considère la circonstance que la monnaie allemande avait une faible
valeur à l'étranger pendant la guerre, comme "même à certains égards
souhaitable, car elle nous a permis de vendre des titres financiers étrangers à
un taux favorable." 15)
15. Bendixen, Währungspolitik und im Lichte Geldtheorie des Weltkriegs
(Munich et Leipzig, 1916), p. 37 (2ème éd. 1919, p.44).
Du point de vue nominaliste cette affirmation monstrueuse est purement
logique.
Bendixen, incidemment, n'est pas seulement un disciple de la théorie étatique
de la monnaie, il est en même temps un représentant de cette doctrine qui
considère aussi la monnaie comme une créance.
En fait, les vues "a catallactiques" peuvent être mélangés selon les
goûts.
Ainsi Dühring, qui en général regarde la monnaie métallique comme " une
institution de la nature", soutient la théorie de la créance, mais, en même
temps, rejette le nominalisme.16)
16. Dühring, Cursus der National - und Sozialökonomie, 3e éd .
(Leipzig, 1892), pp.42 et suiv ., 401.
L'affirmation que la théorie étatiste de la monnaie a été démentie par les
événements de l'histoire de la monnaie depuis 1914 ne doit pas être comprise
comme signifiant qu'elle a été réfutée par les «faits».
Les faits en soi ne peuvent ni prouver ni réfuter, tout dépend de l'importance
qu'on donne aux faits.
Tant que la théorie n'est pas pensée et est travaillée d'une manière absolument
inadéquate, alors ce n'est pas une question de difficulté suprême de l'exposer
de manière à expliquer les «faits», même si ce n'est que superficiellement et
d'une manière qui ne peut par aucun moyen satisfaire une critique vraiment
intelligente.
Il n'est pas vrai, comme le dit la doctrine scientifique naïve de l'école
empirico-réaliste, que l'on peut se sauver de la peine de penser si on permet
aux faits de parler.
Les faits ne parlent pas, ils ont besoin de l’être par une théorie.
La théorie étatique de la monnaie - et toutes les théories a catallactiques de
la monnaie en général - s’écroule non pas tant en raison des faits qu’en raison
de son incapacité même de tenter de les expliquer.
Sur toutes les questions importantes de politique monétaire qui ont surgi
depuis 1914, les disciples de la théorie étatique de la monnaie ont gardé
le silence.
Il est vrai que, même dans cette période, leur industrie et zèle ont été
démontrés dans la publication de grands ouvrages, mais ils n'ont pas été en
mesure de dire quoi que ce soit sur les problèmes qui nous occupent
aujourd'hui.
Que pouvaient-ils dire, eux qui rejettent délibérément le problème de la valeur
de la monnaie, au sujet de ces problèmes de valeur et de prix qui constituent
seuls tout ce qui est important dans le système monétaire ?
Leur terminologie particulière ne nous apporte pas un pas de plus vers une
décision sur les questions qui agitent le monde à l'heure actuelle. 17)
17. Voir aussi Palyi , Der Streit um die staatliche Theorie des
Geldes (Munich et Leipzig , 1922) , pp. 88 et suiv .
Knapp est d'avis que ces questions n'ont pas besoin d'être résolues sauf par
les «économistes » et admet que sa doctrine n'a rien à dire sur celles-là.
18)
18. Knapp, Staatliche Theorie des Geldes, 3e éd. (1921 ), pp. 445 et
suiv.
[i. L'absence de théorie].
Mais si la théorie étatiste ne permet pas d'élucider
les questions qui nous semblent importantes, quelle est son utilisation ?
La théorie étatiste n'est pas une mauvaise théorie monétaire; elle n'est pas du
tout une théorie monétaire. 19)
19. Imaginer que la théorie de l'état est une théorie juridique, c’est ignorer
le but qu'une théorie juridique de la monnaie doit remplir. Toute personne qui
a cette opinion devrait se référer à un travail sur le droit des contrats et
remarquer quelles questions y sont traitées dans le chapitre sur la
monnaie.
Attribuer à la théorie de l'Etat une grande part du blâme de
l'effondrement du système monétaire allemand, n’implique pas que Knapp a
provoqué directement la politique inflationniste qui y a conduit.
Il n'a pas fait cela.
Néanmoins, une doctrine
- qui ne mentionne pas la quantité de monnaie du tout,
- qui ne parle pas de la connexion entre la monnaie et les prix, et
- qui affirme que la seule chose qui soit essentielle dans la monnaie est
l'authentification de l'Etat,
encourage directement l'exploitation fiscale du "droit " de créer de la
monnaie.
Qu'est-ce qu’empêcher un gouvernement de verser de plus en plus en circulation
des billets s’il sait que ce ne sera pas influer sur les prix, parce que toutes
les augmentations de prix s'expliquent par des «conditions de marché
perturbées» ou « des troubles dans le marché intérieur », mais en aucun cas par
quelque chose à faire avec de la monnaie ?
Knapp n'est pas assez imprudent pour parler du valor impositus de la
monnaie comme le faisaient les canonistes et les juristes des générations
passées.
Tout de même, sa doctrine et la leur mènent indifféremment aux mêmes
conclusions.
Knapp, contrairement à certains de ses disciples enthousiastes, n'était
certainement pas un mercenaire du gouvernement.
Quand il disait quelque chose, il le disait par conviction personnelle
véritable.
Cela parle bien de sa propre crédibilité, mais n'a aucune incidence sur celle
de sa doctrine.
Il est tout à fait inexact de dire que la doctrine monétaire de l'étatisme
vient de Knapp.
[j. La théorie de la balance des paiements].
La doctrine monétaire de l'étatisme est la théorie
de la balance des paiements, à quoi Knapp se réfère uniquement en passant, en
parlant de l'«origine pantopolique des taux de change." 20)
20. Knapp, op. cit., pp. 206, 214 .
La théorie de la balance des paiements, quoiqu’insoutenable, est au moins une
théorie de la monnaie catallactique.
Mais elle a été inventée bien avant l'époque de Knapp.
Elle avait déjà été défendue, avec sa distinction entre la valeur interne
(Binnenwert) et la valeur externe (Aussenwert) de la monnaie,
par les étatistes, par Lexis, par exemple. 21)
21. Lexis, " Papiergeld," dans Handwörterbuch der
Staatswissenschaften, 3d. ed., vol. 6, pp. 987 et suiv .
Knapp et son école ne lui ont rien ajouté.
Mais l'école étatiste est responsable de l'installation et de la rapidité avec
quoi la théorie étatique de la monnaie a réussi à devenir la doctrine acceptée
en Allemagne, en Autriche et en Russie.
Cette école avait frappé la catallaxie, la théorie de l'échange et les prix,
comme des superflus tirés des séries de problèmes dont l'économie était
préoccupée ;
elle a entrepris la tentative de représenter tous les phénomènes de la vie
sociale comme de simples émanations de l'exercice du pouvoir par les princes et
d'autres en situation d'autorité.
Elle n'est que l’extension logique de la doctrine tentant de représenter
actuellement la monnaie aussi comme étant créée simplement par la force.
La génération plus jeune des étatistes avait si peu de notion même de ce que
l'économie était vraiment, qu’elle était en mesure d'accepter la discussion
dérisoire de Knapp comme une théorie de la monnaie.
[...]."
Bref, folles thèses, foutaises.
Relisez Henri Poincaré et son livre intitulé Science et méthode.
Retour au sommaire.