A Paris, 29 juin 2007.
L"organisation capitaliste" – c'est-à-dire la capitalisation permanente des épargnes respectives des êtres humains de la meilleure façon - est mouvement, changement, progrès à l'image de la perfectibilité de ses découvreurs, les êtres humains.
Pour cette
raison, et soit dit en passant, parler de "système capitaliste" est
approximatif, un système n'étant jamais qu'une organisation immobile, inerte,
sans changement.
A fortiori, parler de capitalisme en prêtant à ce mot un caractère
déterministe est entrer dans les rets de l'absurdité de l'initiateur du mot -
Karl Marx - et des prosélytes de celui-ci.
1. Du
"landflucht" à la délocalisation.
Il reste qu'hier, étant donnés l'organisation capitaliste et les
changements qu'elle occasionnait, on disait :
- que la ville (du fait de l'industrie nouvelle) avait attiré la main d'œuvre –
agricole - de la campagne ou
- que la main d'œuvre avait fui la campagne pour la ville, au grand dam des
propriétaires ou employeurs agricoles.
Ce fut en particulier la question du "landflucht" dans la décennie 1870.
Diverses causes étaient invoquées mais celle qui revenait le plus souvent était
la rémunération plus élevée versée par l'industrie urbaine.
Hier, en effet, les Junkers de Prusse, propriétaires employeurs fonciers, ne
pouvaient que constater que les employés abandonnaient le travail de la terre
pour aller travailler dans les industries capitalistes nouvelles, plus
rémunératrices.
A cette occasion, ils inventèrent le terme "landflucht" (pour "désertion des campagnes") pour
dénommer le phénomène.
Et, comme le rappela Ludwig von Mises en 1958 (cf. "Première leçon :
capitalisme") :
"Et au Parlement allemand, l'on discuta de ce qui pourrait être fait contre ce
que les nobles propriétaires terriens considéraient comme un fléau.
Le Prince Bismarck, le fameux Chancelier de l'Empire allemand, dit un jour dans
un discours :
« J'ai rencontré à Berlin un homme qui jadis travaillait sur mon domaine, et
j'ai demandé à cet homme :
Pourquoi êtes-vous parti du domaine, pourquoi avez-vous quitté la campagne,
et
pourquoi vivez-vous maintenant à Berlin ? ».
Et si l'on en croit Bismarck, l'homme répondit :
« Il n'y a pas au village une jolie brasserie comme nous en avons à Berlin, où
l'on peut s'asseoir, boire de la bière et entendre de la musique. »
C'est là, bien entendu, une histoire vue du côté du Prince Bismarck,
l'employeur.
Ce n'était pas le point de vue de tous ses employés.
Ils s'engageaient dans les industries parce que l'Industrie leur payait de
meilleurs salaires et portait leur niveau de vie plus haut que jamais
auparavant."
Et
Mises d'ajouter :
"Aujourd'hui, dans les pays capitalistes, la différence est relativement faible
quant aux besoins fondamentaux, entre la façon de vivre des classes dites
supérieures et inférieures ; de part et d'autre l'on a de quoi se nourrir, se
vêtir et se loger.
Mais au dix-huitième siècle et avant, la différence entre l'homme des « classes
moyennes » et l'homme du bas de l'échelle était que le premier avait des
souliers, tandis que le second allait nu-pieds.
Aux États-Unis aujourd'hui, la différence entre un riche et un pauvre signifie
très souvent que l'un a une Cadillac et l'autre une Chevrolet.
La Chevrolet peut être une voiture d'occasion, mais au fond elle rend les mêmes
services à son propriétaire : lui aussi peut rouler assis au volant, d'un point
à un autre.
Plus de cinquante pour cent des gens aux États-Unis habitent une maison ou un
appartement dont ils sont propriétaires."
2. Qu'en est-il aujourd'hui en 2007 ?
Sans référence à l'organisation capitaliste ni aux changements que
celle-ci induit, la "pensée unique" française préfère avancer
- que la main d'œuvre de tel pays est attirée par tel autre ou
- que la main d'œuvre fuit tel pays pour tel autre – c'est la question de
l'immigration/émigration humaine -.
Et certains se formalisent à propos de l'immigration humaine, d'autres à propos
de l'émigration humaine et des troisièmes à propos de l'immigration et de
l'émigration humaines étant données les causes du phénomène qu'ils
privilégient.
La "pensée unique" française dit aussi - c'est plus récent -,
- que la firme de tel pays est attirée par tel autre ou
- que la firme fuit tel pays pour tel autre, - c'est la question de la délocalisation
- au grand dam des hommes politiques et des employés dans le pays
abandonné.
Là encore, diverses causes sont avancées mais la principale, celle qui revient,
dans les discours tient dans les coûts moindres supportés par la firme
dans le pays hôte ; le cas échéant, elle est déguisée par les contempteurs du
phénomène en l'expression "dumping
social".
Par exemple en
France, depuis plusieurs années, les adeptes du "patriotisme
économique", hommes politiques ou autres, ne peuvent que constater que des
employeurs déplacent les entreprises qu'ils ont créées en France dans d'autres
pays, qu'ils évaluent moins coûteux.
Ils ont donc forgé le mot "délocalisation" pour caractériser le
phénomène.
Le cas échéant, ils introduisent une cause qu'ils jugent déterminante pour
expliquer le phénomène, ils la dénomment "dumping
social".
3. Du
"Speenhamland" à la "fillonnie" (... ou à la
filouterie).
Malgré la permanence des phénomènes (mobilité, changement) conséquences de
l'organisation capitaliste et de la perfectibilité humaine, des gouvernements
ont eu par le passé la prétention de maîtriser certains de leurs aspects, par
des réglementations de leur cru.
Et le dernier
en date en France, à savoir le gouvernement dont le Premier Ministre est
François Fillon, n'échappe pas à la "tradition".
Avant-hier (décennie 1790), alors que l'industrie, nouvelle forme
d'organisation, était en pleine expansion et avait besoin de main d'œuvre
en conséquence, le gouvernement britannique avait eu l'idée de mettre sur pieds
le système réglementaire de Speenhamland .
La loi de Speenhamland, communément
appelée la "loi sur les pauvres", a été en vigueur en Grande-Bretagne de 1795 à
1834.
Au terme de ce
système, le travailleur qui ne recevait pas le salaire minimal légal (qu'avait
fixé le gouvernement), se voyait verser la différence entre le salaire officiel
et le salaire touché.
L'employeur agricole pouvait ainsi payer un salaire dont le taux était inférieur au taux légal et espérer que son employé ne serait pas incité à abandonner la campagne pour aller à la ville et y travailler dans l'industrie nouvelle, plus rémunératrice …
Aujourd'hui,
année 2007, le gouvernement français tend à mettre sur pieds un système
réglementaire voisin, malgré des apparences opposées.
Au terme de la nouvelle réglementation - qu'on pourra toujours dénommer
"fillonnie" du nom de son supporter ministériel -, le travailleur dont la durée
de travail sera supérieure à la durée légale – fixée par le "gouvernement
Jospin" de 1997-2002, à 35 heures par semaine – se verra versé un salaire dont
la partie rémunérant la durée de travail excédentaire ne supportera ni impôt à
l'Etat, ni cotisation à l'organisation de la sécurité sociale
obligatoire.
L'employé recevra ainsi un salaire dont le taux sera supérieur, comparativement, au taux légal (charges comprises) bien que l'employeur ne versât rien de plus à l'Etat ou à l'organisation de la sécurité sociale obligatoire.
En conséquence,
l'employeur pourra espérer que l'employé sera incité à travailler
davantage.
4. L'état et la bureaucratie.
Reste l'état,
"cette grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux
dépens de tout le monde" (selon la définition de Frédéric Bastiat).
Comment peut-il
faire fonctionner en pratique une telle "usine à gaz" réglementaire ?
Une chose est
certaine : à supposer que la bureaucratie parvienne à écrire une réglementation
claire, compréhensible pour l'employeur, il faudra qu'il mette en oeuvre une
police spécifique pour vérifier son application et déjouer les fraudes
éventuelles !
Voici un coût
économique dont personne ne parle.
Et quel coût :
pourquoi ne serait-il pas vraisemblablement digne de celui de la loi sur les 35
heures elle-même !
Dès à présent, selon Catherine Delgado du quotidien La Tribune :
"Trois confédérations, la CGT, la CFDT et la CGC ont exprimé d'une seule voix
ce jeudi 7 juin 2007 leur opposition à cette réforme qui prévoit la
défiscalisation et des allègements de cotisations sociales sur les heures
supplémentaires, et devrait coûter quelque 6 milliards d'€uros par an à l'Etat
[…]
FO, qui ne s'est pas associée à cette déclaration commune, n'en est pas moins
critique, que ce soit sur
- la différence de traitement des salariés selon leur temps de travail,
- la confusion quant au chiffrage de la mesure ou
- la question de la compensation du manque à gagner pour la Sécurité sociale
(compensation promise par l'Etat, en application de la loi Veil de 1994), mais
au sujet de laquelle tous les syndicats sont sceptiques."
L'état – c'est-à-dire en fait ce que sont obligés de débourser les
contribuables – versera-t-il à l'organisation de sécurité sociale obligatoire
la différence entre les "prélèvements officiels" qui auraient du lui échoir
sans la réglementation et les prélèvements qu'elle obtient du fait de celle-ci
?
Les gens du
syndicat FO en doutent dès à présent : y aurait-il de la filouterie dans la
fillonnie ?
L'avenir le dira.